Mika
Rottenberg
Antimatter Factory

Mika Rottenberg, «Spaghetti Blockchain», 2019 (Filmstill), Single-channel 4K video installation, 7.1 surround sound, color; 18:15 min. © Mika Rottenberg, Courtesy the artist and Hauser & Wirth

Mika Rottenberg
Antimatter Factory
5 juin 2024 – 3 novembre 2024

À travers l’une des plus vastes expositions consacrées à Mika Rottenberg jusqu’à aujourd’hui, le Musée Tinguely présente une rétrospective de son œuvre protéiforme. En provoquant la surprise et le rire, les vidéos de Mika Rottenberg reflètent des situations absurdes de la logique de production capitaliste. À travers d’enivrantes cascades de couleurs à la dimension picturale, ses œuvres éveillent chacun de nos sens et naviguent d’une région du monde et d’une dimension à l’autre avec une malicieuse facilité. L’exposition réunit d’importants travaux et installations vidéo réalisés entre 2003 et 2019, ainsi que son dernier long métrage Remote (2022). Une sculpture-fontaine conçue pour l’exposition est présentée pour la première fois dans le parc devant le musée, tout comme de récentes sculptures hybrides réalisées à partir de matériaux organiques et de plastique recyclé. Des travaux cinétiques en partie interactifs parachèvent de couvrir le spectre de son œuvre.

Mika Rottenberg, Spaghetti Blockchain, 2019 (Filmstill)
Single-channel 4K video installation, 7.1 surround sound, color; 18:15 min.
© Mika Rottenberg, Courtesy the artist and Hauser & Wirth

Le titre de l’exposition au Musée Tinguely, Antimatter Factory, fait référence au nom d’un département de recherche du CERN à Genève qui mène des expériences sur l’antimatière. Durant sa résidence d’artiste, Mika Rottenberg y a trouvé l’inspiration pour son travail Spaghetti Blockchain (2019-2024), présenté pour la première fois sous forme d’installation vidéo à trois canaux dans le cadre de l’exposition. Celui-ci est consacré à l’échange d’énergies, d’objets et de personnes ; il relie le microscopique au macroscopique et déplace la matière à travers l’espace et le temps comme par magie. Avec ce travail, nous voici plongés au cœur du cosmos artistique de Mika Rottenberg.

Une usine produisant de l’antimatière. Cette périphrase pourrait également désigner les sculptures-machines de Jean Tinguely qui créent de la poésie plutôt que de la matière exploitable et raillent ainsi la production industrielle de marchandises comme rapport d’exploitation entre l’homme et la machine. Le regard ironique de Mika Rottenberg poursuit cette même thématique en étudiant les relations surprenantes, pour ainsi dire souvent insolites, au sein de la production mondiale de biens. À travers son surréalisme social, l’artiste crée des paraboles de l’aliénation identifiée par Karl Marx dans la 'dépréciation du monde des hommes à travers la mise en valeur du monde des choses'. Ce qui renforce la pertinence de la critique de Mika Rottenberg envers notre production capitaliste de marchandises c’est sa vitesse croissante, la libre circulation mondiale des marchandises (et non des personnes), ainsi que la dématérialisation qui découple les choses de leur représentation. L’artiste se penche également sur un autre thème en résultant : la question du pouvoir d’action des choses et des matières, ainsi que la spiritualité qui leur est inhérente.

Mika Rottenberg, NoNoseKnows, 2015 (Filmstill)
Single-channel video installation, sound, color; 21:58 min.
© Mika Rottenberg, Courtesy the artist and Hauser & Wirth

La rétrospective présente une riche sélection des travaux et installations vidéo de Mika Rottenberg. Des bruits d’éternuements émanant d’un premier travail vidéo accueillent les visiteur.euse.s. Il s’agit de Sneeze réalisé en 2012. L’éternuement est un thème présent dans plusieurs travaux de l’artiste qui s’y intéresse en tant que production végétative corporelle au même titre que la croissance des cheveux, des ongles des doigts ou des orteils. Ainsi, un fil rouge se déploie tout au long de l’exposition à travers certaines thématiques récurrentes.

L’installation vidéo No Nose Knows a été créée en 2015 pour la Biennale de Venise. Elle montre les étapes de la production industrielle de perles dans une usine de Zhuji, une ville au sud de la Chine : de l’implantation d’un corps étranger à l’intérieur de l’huître qui l’enrobe de nacre, jusqu’à la 'récolte' et la sélection. Au moyen d’un mécanisme de rouages et d’une courroie de transmission, l’usine est reliée au poste de travail d’une femme dont les éternuements provoqués par des bouquets de fleurs entraînent l’expulsion de plats de pâtes, tandis que son nez ne cesse de s’allonger. La question de la productivité culmine en une réaction allergique très singulière, survenant aussi en l’absence de toute volonté.

Mika Rottenberg, Cheese, 2008
Multichannel video installation with sound; 16:07 min.
© Mika Rottenberg, Courtesy the artist and Hauser & Wirth

Pour Cheese (2008), Mika Rottenberg s’est inspirée de l’histoire de la famille des 'Seven Sutherland Sisters' qui se produisait sous la forme d’un ensemble vocal vers 1900. Dotées d’interminables chevelures, ces sœurs en firent leur marque de fabrique et rencontrèrent un large succès en commercialisant un produit cosmétique favorisant la pousse des cheveux. L’étiquette «The Lucky Number 7» apposée sur le flacon promettait non seulement la croissance capillaire, mais aussi le bonheur. L’installation de Mika Rottenberg se compose d’un baraquement de planches labyrinthique où il est possible de circuler, et dans lequel le pouvoir des cheveux longs se conjugue à l’énergie produite par l’écume des chutes du Niagara pour fabriquer le produit capillaire. Ce récit est lié de manière surréaliste à la fabrication de fromage de chèvre au moyen d’une rampe de transmission bricolée en bois.

Mika Rottenberg, Cosmic Generator, 2017 (Filmstill)
Single-channel video installation, sound, color; 26:36 min.
© Mika Rottenberg, Courtesy the artist and Hauser & Wirth

Emprunter le tunnel pour entrer dans l’installation vidéo Cosmic Generator (2017) revient à entamer un voyage à travers un étroit système de tunnel éclairé par des ampoules colorées qui clignotent. Le travelling commence au centre d’une assiette décorée de motifs chinois. La bande sonore se compose d’une musique pour instruments à cordes évoquant l’ambiance d’un restaurant chinois, de grincements produits par des bruits de roulement ainsi que du grésillement de courts-circuits électriques. Le périple débouche sur une mer bouillonnante de débris d’ampoules colorées pour se transformer aussitôt en un panorama d’un marché de gros à Yiwu, en Chine. L’exubérance visuelle des microboutiques résulte de l’uniformité et de la spécialité de chacune d’entre elles : on y voit des guirlandes en plastique de toutes les couleurs ou des guirlandes lumineuses de toutes sortes, des sapins de Noël scintillants ou des fleurs en plastique multicolores. Ces objets fétiches du monde marchand surabondant sont contrecarrés par les vendeuses à peine visibles qui disparaissent derrière leurs produits. Le film est inspiré d’une visite de la ville-frontière Mexicali qui se distingue par une importante population chinoise et un nombre considérable de restaurants chinois uniformes. Avant la construction de la frontière clôturée, Mexicali était reliée à Calexico, la ville californienne voisine, par un système de tunnels. Comme dans le film où une banale 'coupe franche' permet de surmonter les distances et les dimensions, celui-ci peut être perçu comme une allégorie du flot mondial de marchandises et de l’assujettissement local des personnes.

Mika Rottenberg, Untitled Ceiling Project, 2018
Single-channel video installation with sound, color
6:07 min.
© Mika Rottenberg, Courtesy the artist and Hauser & Wirth

Mika Rottenberg, #11 with cabbage and ponytail (detail), 2020
Plywood, aluminum, mechanical parts, plastic, hair 110 x 63.5 x 41 cm / 43 1/4 x 25 x 16 1/8 inches
Crank element with belt: 30 x 35 x 36 cm / 11 3/4 x 13 3/4 x 14 1/8 inches
© Mika Rottenberg, Courtesy the artist and Hauser & Wirth Photo: Zak Kelley

Aux côtés d’autres travaux et installations vidéo à l’instar de Time and a Half (2003), Fried Sweat (2008), Smoky Lips (2016-19) et Untitled Ceiling Projection (2018) couvrant près de vingt ans de création, l’exposition montre une sélection de sculptures cinétiques hybrides, pour certaines interactives, accompagnées de compositions fonctionnelles et matérielles surréalistes des années 2020 à 2022, ainsi qu’un ensemble d’œuvres exposé pour la première fois regroupant des lampes-sculptures qui relient des structures organiques à des abat-jour colorés en plastique recyclé. Spécialement conçue pour l’exposition, une sculpture-fontaine haute de près de trois mètres, en forme de pied coloré crachant de l’eau, est installée dans le parc de la Solitude.

Pendant toute la durée de l’exposition, le long métrage Remote est visible dans la salle de conférence du musée. Réalisé pendant la pandémie de Covid-19 par Mika Rottenberg en coopération avec le réalisateur et l’auteur Mahyad Tousi, ce film s’inspire de certaines de leurs discussions à l’époque du confinement physique, lorsque les moyens de communication numériques revêtirent une importance nouvelle. Le film crée un récit fantastique à une époque postpandémique où interactions physiques et numériques reprennent de manière inattendue et où les distances disparaissent.

Mika Rottenberg, Cosmic Generator, 2017 (Filmstill)
Single-channel video installation, sound, color; 26:36 min.
© Mika Rottenberg, Courtesy the artist and Hauser & Wirth

Le travail artistique de Mika Rottenberg interroge des conditions de production ne faisant habituellement pas l’objet d’une remise en question ainsi que la valeur du travail au sens marxiste du terme avec une attention particulière portée à la main-d’œuvre féminine dans des situations exacerbées, surréalistes et absurdes. Avec humour, l’artiste inverse les causes et les effets, joue avec les échelles – de la plus petite à la plus grande et vice versa – et crée une alchimie d’énergies et de cosmologies. Les visiteurs et visiteuses évoluent dans un monde imaginaire où se mêlent sensualité enivrante et illogisme déconcertant qui possède quelque chose de très libérateur. Ce sont des écosystèmes de séduction et de magie qui relient la réalité et l’imagination caractérisés par une pensée qui réfléchit la corporalité selon des critères architectoniques : espace et temps, intérieur et extérieur, haut et bas, proximité et distance, pureté et saleté, douceur et résistance. À travers son appropriation créative des matériaux les plus divers et leur 'agency' ouverts à des épistémologies alternatives, l’artiste a anticipé des évolutions qui sous le terme de 'nouveau matérialisme' explore aujourd’hui les rapports complexes entre la technologie, la nature et l’environnement.

Dans le cadre de l’exposition paraît un catalogue en ligne. Il présente les principaux thèmes de l’œuvre de Mika Rottenberg au moyen d’une navigation ludique inspirée de l’esthétique de l’artiste. Parallèlement à des informations biographiques et bibliographiques ainsi que des vues d’exposition des trois institutions partenaires – le Musée Tinguely, la Kunst Haus de Vienne et le Lehmbruck Museum de Duisbourg –, cette publication en ligne réunit des extraits de travaux vidéo ainsi que des interviews et des textes de Chen Quifang, Heather Davis, James Taylor-Foster, Mahyad Tousi, Mika Rottenberg et Roland Wetzel.

Des ateliers de fabrication d’objets en plastique recyclé sont proposés régulièrement en coopération avec Precious Basel Plastic.

L’exposition Mika Rottenberg. Antimatter Factory résulte d’une coopération entre le Musée Tinguely de Bâle, la Kunst Haus de Vienne et le Lehmbruck Museum de Duisbourg.

Commissaire de l'exposition: Roland Wetzel, assisté par: Tabea Panizzi