Sylvie Fleury, Car Wash, 1995 / Bruno Rousseaud, Dix heures dix, 2004 / Andrew Bush, Man (possibly someone in character) traveling northwest at 60 mph on U.S. Route 101 in the vicinity of Hollywood on a late Sunday afternoon in march 1991

Voiture Fétiche. Je conduis, donc je suis.

8 juin – 9 octobre 2011

Superflex, Burning Car, 2008
L’automobile est le bien le plus important pour la civilisation du XXe siècle. Elle reflète l’évolution culturelle et sociale, et pas uniquement dans le monde occidental. Outil technique de déplacement, elle correspond, dans l’interaction homme-machine, à l’interface la plus poussée. Mais elle est aussi porteuse de significations, espace individualisé, vecteur de petites fugues et de grandes évasions ; elle permet de prendre ses distances et de définir son image personnelle. L’attrait pour la vitesse, ainsi que les nouvelles notions de temps et d’espace qui en découlent, ont marqué la nouvelle approche (urbaine) et le rythme de la vie moderne au début du XXe siècle, étroitement liée au regard : le pare-brise est devenu l’étrange lucarne par laquelle, jusqu’à aujourd’hui, on voit la réalité qui défile. L’exposition « Voiture fétiche » démontre la diversité dans l’art influence par l’automobile. Environs 160 œuvres de plus de 80 artistes, parmi eux Giacomo Balla, Andy Warhol, Jean Tinguely, Gerhard Richter et une multitude d’artistes contemporains (comme Damián Ortega, Chris Burden and Superflex).
Mel Ramos, Kar Kween, 1964 (détail)
Rien, pas même les embouteillages sans fin, ne vient altérer la force symbolique et souvent irrationnelle qui dicte notre rapport à ce jouet tant aimé. Ainsi, dans le domaine de l’art, le champ d’investigation que représente la voiture comme objet de culte et d’imagination n’en est que plus large et varié. La grande exposition « Voiture fétiche » au Musée Tinguely s’organise autour d’un vaste panorama qui retrace sur une centaine d’années la complexité de ces rapports ; des œuvres représentatives ont été sélectionnées pour en donner une interprétation esthétique et critique.

Au cours des dernières années, cet objet fétiche qu’est la voiture est moins analysé sous l’angle de l’exotisme que sous celui de la société de consommation occidentale et des attentes envers le monde des marchandises. Le fétichisme en tant qu’acte projectif face à l’objet est un phénomène des grandes civilisations que la modernité a certes étouffé, mais il n’a pas disparu pour autant. Aujourd’hui encore, les choses ont le pouvoir de former des évocations, des positions, des imaginations, mais aussi des modes de pensée et d’action. L’exposition, et le riche catalogue qui l’accompagne, entendent analyser ces formes au travers de l’automobile en tant qu’« objet complexe ». Le fétichisme face à la marchandise, mais aussi les fétichismes sexuels et religieux appellent un distinguo qui constituera l’agencement thématique du catalogue et de l’exposition.
Giacoma Balla, The Car has passed, 1913
L’exposition

L’automobile (qui se meut de soi-même) se trouve déjà chez les dieux ailés. Mais c’est précisément en 2011 que la voiture – à proprement parler – fête ses 125 ans (en 1886, Carl Benz fabriquait la célèbre et toute première voiture du monde : « Patentmotorenwagen »). L’exposition au Musée Tinguely, dont la conception architecturale reprend la forme d’une roue avec axe et secteurs circulaires, démarre sur la radicalité des ébauches artistiques et sociales des Futuristes, à qui la symbiose entre l’homme et la machine inspire une nouvelle esthétique de l’accélération permanente. En 1909, dans le Manifeste futuriste, Filippo Tommaso Marinetti propage la vitesse et la course comme nouvel idéal de beauté après l’ancien idéal défini par Nike de Samothrace. Les Futuristes vénèrent l’empire de la machine, écrivent des poèmes chantant les voitures de course et entonnent un « Hymne à la mort ». Dans les arts plastiques, ce sont surtout les œuvres de Giacomo Balla et Luigi Russolo qui illustrent la notion de mouvement automobile comme une synesthésie de lumière, de bruit et de vitesse dans l’espace urbain. Ces deux artistes marquent le début chronologique de l’exposition. La salle qui leur est consacrée propose un panorama d’œuvres qui entend rendre cette ivresse sensorielle.
Arnold Odermatt, Wolfenschiessen, 1964
La traversée de l’histoire de l’art par les œuvres que l’automobile a inspirées, des Futuristes jusqu’à aujourd’hui, sera accompagnée d’un autre parcours thématique dans l’exposition. Le visiteur peut ainsi choisir son propre accès à l’exposition : soit sous le signe du « fétichisme de la marchandise » (laque et chromes, achat d’automobile comme action de fictions et de remplacement, production en chaîne et accumulation) avec des œuvres d’Ant Farm, Arman, Edward Burtynsky, Jan Dibbets, Hans Hansen, Peter Keetman, Len Lye, Hendrik Spohler, Peter Stämpfli et Patrick Weidmann ; ou bien du « fétichisme religieux » (autodafé, « déesse », fétiche à clous et cimetière automobile) avec des travaux de Kudjoe Affutu, Chris Burden, Jordi Colomer, Walker Evans, Jitish Kallat, Annika Larsson, Superflex et Dale Yudelman ; ou encore du « fétichisme sexuel » (fonction phallique, puissance motrice, courbes féminines, voiture comme machine de célibat) avec des travaux de Liz Cohen, Sylvie Fleury, Wenyu Ji, Allan Kaprow, Richard Prince, Pipilotti Rist, Bruno Rousseaud et Franck Scurti.

On découvrira la voiture dans tous ses états et sous d’autres formes de glorification dans les salles traitant le thème de l’accident avec des travaux de Brassaï, James Dean, Robert Frank, Jacques-Henri Lartigue, Mickry 3, Arnold Odermatt, Roman Signer et Wolf Vostell, celui de la vitesse avec des travaux de Horst Baumann, Géo Ham, Jacques-Henri Lartigue, Richard Prince, Man Ray et Anton Stankowski, ainsi que celui de la circulation avec des travaux d’Andreas Feininger, Robert Frank, Jacques-Henri Lartigue, Julian Opie, June Bum Park, Peter Roehr, Samuel Rousseau, Bruno Ruckstuhl, Michael Sailstorfer, Stefan Sous et Peter Stämpfli. Une autre salle enfin sera consacrée aux thèmes du repli et de la fuite – « salle de séjour et espace » –, avec des travaux de Michel de Broin, Edward Kienholz, Hans-Peter Feldmann, Zilla Leutenegger, Thomas Mailänder, Ahmet Ögüt, Betsabée Romero et Andrea Zittel. L’axe de toute l’exposition figure au centre : il s’agit de la grande réalisation de Damian Ortega, Cosmic Thing, une Coccinelle Volkswagen qui se répand comme une explosion dans l’espace.

A l’entrée de l’exposition une sélection "On the move" d’Andrew Bush accueillera les visiteurs.Un montage réalisé par Virgil Widrich à partir de célèbres scènes autour de la « love story automobile » sera diffusé en permanence pendant l’exposition dans la salle de conférence du musée.
Jean Tinguely und Eva Aeppli, Die 5 Witwen, ca. 1972
Et Tinguely

Le Musée Tinguely dispose d’une collection de plusieurs œuvres directement inspirées de la voiture et réalisées à partir de pièces de voiture. Jean Tinguely était un fervent adepte de la « plus belle œuvre d’art » du monde. Il a ainsi conçu un autel avec deux châssis de voitures de course, ou bien illustré le caractère éphémère de la consommation occidentale avec une sculpture réalisée à partir d’une Renault Safari, ou encore arrangé Les cinq veuves d’Eva Aepplis avec une voiture de course Lotus (qu’il avait lui-même achetée après avoir été conduite par le champion du monde Jim Clark) pour en faire un assemblage-mémorial à la course, souvent mortelle, de Formule 1. Tinguely le Réaliste a souvent intégré dans son travail sa grande passion pour la vitesse et les moteurs (il était également connu pour ses accidents de voiture). Il manquait rarement d’ailleurs une course de Formue 1. Jo Siffert était de ses amis, tout comme le Suédois Joakim Bonnier ou Niki Lauda. Il collectionnait les voitures avec passion, de préférence des Ferrari, roulait volontiers en Mercedes et peignit lui-même un side-car qu’il sponsorisa pour une course. Comme les Futuristes, Jean Tinguely était pétri du mythe de la vitesse. Son rapport à l’automobile était à la fois euphorique et pessimiste.
Catalogue

Le somptueux catalogue mettra en lumière notre rapport complexe à l’automobile grâce à de nombreuses contributions relevant aussi bien de l’histoire de l’art que de la sociologie et de la psychologie, toutes signées par des auteurs de renom, tels que Hartmut Böhme, Ludger Lütkehaus ou Matthias Bickenbach. D’autres auteurs aborderont également le phénomène sous l’angle de l’invention de la vitesse (Harun Maye), et du point de vu du fétichisme et de la prothèse d’une nouvelle identification (Micha Hilgers). David Staretz couvre d’éloges le virage comme dernier espace de liberté automobile. Thomas Pittino examine la relation amoureuse entre la voiture et le cinéma - deux « machines d’émotions »et un chapitre particulier sera consacré par Manuela Kraft à l’« autophilie » de Jean Tinguely. La monographie (en allemand et anglais) est richement illustrée et contient 364 pages.

Film

Du 8. juin au 9. septembre un cinéma en plein air sera installé dans le parc du Musée Tinguely. Divers films sur le thème de la voiture seront projetés : Night on Earth, Bullitt, Thelma et Louise, Duell, Les Blues Brothers, Le Mans, Lost Highway, Traffic, Weekend etc. Le programme définitif et les réservations pour le cinéma en plein air seront disponibles à partir de fin mai sur le site www.tinguely.ch.
Patrick Weidmann,916-0, 2007