Belle Haleine – L'odeur de l'art

11 février – 17 mai 2015

Bande annonce de l'exposition

Le Musée Tinguely a conçu un projet d’exposition, dont le but est de mettre en lumière le thème complexe des cinq sens humains et leur représentation dans l’art. La première de cette série d’expositions s’intitule « Belle Haleine – L’odeur de l’art » et se consacre au phénomène à la fois fascinant et fugitif de l’odeur, dépassant donc l’approche muséale habituelle de l’art qui sollicite davantage la vue.
Cornelis Cort, De Reuk (Odoratus), 1561, Rijksmuseum, Amsterdam © Foto: Rijksmuseum, Amsterdam
Sur plus de 1200 m2, « Belle Haleine – l’odeur de l’art » présente des installations multimédias, vidéos, sculptures et objets, oeuvres conceptuelles, dessins, photographies et gravures des artistes suivants : John Baldessari, Bernard Bazile, Louise Bourgeois, Marcel Broodthaers, Carlo Carrà, Marcel Duchamp, Peter de Cupere, Sylvie Fleury, Jaromír Funke, Raymond Hains, Carsten Höller, Bruno Jakob, Oswaldo Maciá, Piero Manzoni, Jenny Marketou, Cildo Meireles, Kristoffer Myskja, Ernesto Neto, Markus Raetz, Man Ray, Martial Raysse, Fran-çois Roche, Dieter Roth, Ed Ruscha, Valeska Soares, Daniel Spoerri, Gerda Steiner & Jörg Lenzlinger, Jana Sterbak, Jean Tinguely, Sissel Tolaas, Clara Ursitti, Ben Vautier, Bill Viola, Claudia Vogel, Meg Webster, Yuan Gong et Anna-Sabina Zürrer. Dans la première salle de l’exposition, on pourra voir également un choix de réalisations allégoriques d’artistes comme Cornelis Dusart, Pieter Jansz. Quast, Jan Saenredam, Jacob Fransz. van der Merck des XVIe et XVIIe siècles.
Jaromír Funke, Stillleben, Vera-Violetta, ca. 1923, Städel Museum, Frankfurt am Main © Miloslava Rupešová; Photo: Städel Museum – ARTOTHEK
L’exposition met l’accent sur le potentiel olfactif de notre perception esthétique tout en soulevant les questions suivantes : Quelle est l’odeur de l’art ? Que se passe-t-il lorsque notre nez devient soudain le vecteur principal de notre expérience artistique ? Des oeuvres d’art peuvent-elles activer l’olfaction chez l’observateur sans dégager d’odeur ? Les odeurs peuvent-elles être décrites et transcrites en images ? Les odeurs peuvent-elles servir à l’expression artistique et à la créativité ? Des oeuvres d’artistes au rayonnement international montrent que ces expériences existent bel et bien et que la notion d’art peut être élargie à la dimension olfactive, laquelle a d’ailleurs connu ces dernières années une importance croissante.

L’odorat est un sens biochimique qui compte parmi nos capacités sensorielles les plus anciennes. En tant que sensorium corporel, il permet d’expérimenter directement l’environnement puisque notre perception olfactive est immédiatement rattachée au système limbique. L’odorat est une faculté sensorielle majeure étroitement liée à certains événements, aux souvenirs et au jugement, et permettant d’intégrer dans le moment présent des informations sur des événements passés. Les parfums évoquent donc subjectivement et culturellement des émotions très diverses, des
souvenirs et associations qui varient aussi au fil de l’Histoire.

Marcel Duchamp, Air de Paris, 1935–1941, Collection David Fleiss, Paris © Succession Marcel Duchamp / 2015, ProLitteris, Zurich; Photo: Galerie 1900–2000
L’utilisation de stimuli olfactifs en art a souvent des accents subversifs et rompt avec certains tabous. Une odeur donnée nous attire ou nous répugne. Les odeurs peuvent être provocantes, elles stimulent et nous influencent de façon directe. C’est à ces éléments que certains artistes recourent pour replacer au coeur de leur travail les grandes questions de notre époque et de notre monde.

Dans une première salle, des représentations allégoriques de l’odeur à l’ère baroque constituent le prologue de l’exposition. Elles côtoient des oeuvres et documents d’artistes essentiels du XXe siècle, tels que Marcel Duchamp, Man Ray ou Carlo Carrà, qui traitent de diverse manière l’haleine et l’aspect volatil du parfum. Avec l’émergence des avant-gardes au début du XXe siècle, le thème de l’odeur est devenu d’actualité dans les arts plastiques. Les artistes aspiraient alors à la synesthésie. Même plus tard, Raoul Hausmann, artiste Dada et poète, resta convaincu que notre pensée est fortement marquée par les cinq sens. Dans son livre La Sensorialité excentrique (1969), il évoquait ainsi une capacité sensorielle devant dépasser tout ce qui avait existé jusqu’alors et annonçant une nouvelle civilisation. À partir des années 1960, en ouvrant encore davantage le concept de l’art aux choses quotidiennes et au contact direct avec le spectateur, cette quête se fit encore plus tenace. Des artistes de la génération de Tinguely, dans les cercles du Nouveau Réalisme, du pop art, de l’art conceptuel ou de Fluxus, tentèrent ainsi d’attiser et de placer au premier plan tous les sens de l’individu, au-delà de la seule perception visuelle.
Sylvie Fleury, Aura Soma, 2002, Daimler Art Collection, Stuttgart/Berlin © Sylvie Fleury; Photo: Jens Ziehe, Berlin
L’exposition porte principalement sur un choix d’oeuvres d’art de ces vingt dernières années, dans lesquelles la perception sensorielle olfactive est sollicitée de différentes manières. Certaines oeuvres traitent du hiatus important entre le naturel et l’artificiel, révélant combien une perception plus sensible de l’environnement par l’odorat est aujourd’hui d’actualité.
Piero Manzoni, Merda d‘artista n. 78, 1961, Fondazione Manzoni, Milano © 2015, ProLitteris, Zurich; Photo: Agostino Osio, Milano, courtesy Fondazione Piero Manzoni, Milano
Un thème important ici est notre rapport ambivalent au corps humain, ses odeurs naturelles et émanations que nous cherchons à influencer en les désodorisant. Dans son oeuvre Aura Soma (2002) – 102 flacons remplis d’huiles et eaux de différentes couleurs –, Sylvie Fleury interroge la tendance actuelle à l’ésotérisme et l’olfactothérapie. Piero Manzoni, représentant majeur de l’art conceptuel italien, a fait de son propre corps le vecteur de son art et a créé ainsi Merda d’artista (1961) et Fiato d’artista (1960). Dans un geste extrêmement provocateur, Dieter Roth a imprégné son oeuvre littéraire Poemetrie de 1968 d’un mélange de pudding et d’urine.
Sissel Tolaas, FEAR 1/8, Louisiana, 2009, The FEAR of smell – the smell of FEAR, de 2006 à aujourd’hui, Courtesy of the artist, supported by IFF (International Flavors & Fragrances Inc.) © 2015, ProLitteris, Zurich; Sissel Tolaas; Photo: Louisiana Museum of Modern Art, Humlebæk
Jana Sterbak, avec sa Chemise de Nuit (1993) et son Container for Olfactive Portrait (2004), traite de la complexité de l’attirance corporelle, érotique et sexuelle. L’installation participative et performative The FEAR of Smell – the Smell of FEAR (2006–2015) de Sissel Tolaas, artiste norvégienne et spécialiste des odeurs, aborde en revanche davantage le rapport entre peur, odeur et dégoût et les réactions que cela induit chez nous.
Ernesto Neto, Mentre niente accade / While nothing happens, 2008 (Detail), Private Collection © Ernesto Neto; Photo: Giorgio Benni, Courtesy the artist and Macro – Museo d’arte contemporanea Roma
À ces oeuvres font face le travail monumental Mentre niente accade/While nothing happens (2008) d’Ernesto Neto, celui de Valeska Soares, Fainting Couch (2002) avec ses apparences constructives et minimalistes, et les travaux monochromes sur papier de Meg Webster ainsi que son Moss Bed (1986/2005-2015) qui utilise des matières authentiques, épices, lis et mousse, pour éveiller en nous le désir de nature et d’états paradisiaques.
Cildo Meireles, Volátil (Volatile), 1980/1994, Creditline: "la Caixa" Collection of Contemporary Art Copyright: Cildo Meireles; Photo: Courtesy Galerie Lelong, New York
Dans l’installation Volátil (1980–1994) de Cildo Meireles, le visiteur qui pénètre est directement pris à partie dans une expérience physique – et tout particulièrement olfactive – qui le renvoie brusquement à des émotions fortes. Nuage de talc, bougie, additifs odorants à base de composé soufré dans le gaz de ville pour prévenir de fuites éventuelles font aussitôt surgir des associations qui renvoient aux atrocités de l’holocauste, contrecarrées par le sentiment positif de marcher comme au-dessus des nuages.

Ce sont des émotions tout autres que suscite l’installation vidéo et sonore Il Vapore (1975) de l’artiste américain Bill Viola. Le visiteur est enveloppé d’une odeur forte de vapeur d’eucalyptus qui remplit toute la salle. En faisant se superposer différents niveaux de temps et de réalités, l’artiste représente la transformation physique de l’eau, d’abord matière liquide puis vapeur gazeuse éphémère. Viola « dépeint » ainsi la qualité méditative et transcendantale de l’eau en tant que matière universelle.

De nombreuses questions en rapport avec l’odorat dans l’époque actuelle sont également soulevées dans les dix interviews du travail vidéo Smell You, Smell Me (1998) de l’artiste grecque Jenny Marketou, présenté au centre de l’exposition.
« Belle Haleine – L’odeur de l’art » n’est pas une exposition sur les parfums. Elle n’entend pas non plus constituer une manifestation chronologique et collective qui serait exhaustive en termes d’histoire de l’art. Elle se veut volontairement expérimentale et souhaiterait encourager la réflexion sur une faculté sensorielle cruciale et pourtant souvent négligée.

Une programmation parallèle est également proposée, telle que la première «Phéromones party» de Bâle (Saint-Valentin, 14 février 2015), un symposium interdisciplinaire (17-18 avril 2015) avec des intervenants internationaux de renom dans les domaines des sciences sociales et des sciences naturelles, des conférences, visites guidées, animations dominicales pour les familles et ateliers (entre autre avec Sissel Tolaas le 19 avril 2015) qui accompagneront l’exposition au Musée Tinguely. L’exposition a été conçue par Annja Müller-Alsbach.