The Last Reality Show
Boris Nikitin

Boris Nikitin «Erste Staffel. 20 Jahre Grosser Bruder», vue extérieure du Container, stage design: David Hohmann, Staatstheater Nürnberg, 2020 © photo: Boris Nikitin

The Last Reality Show
Boris Nikitin

6 décembre 2023 - 21 janvier 2024

C’est la première machine Social Media du XXIe siècle : le conteneur de l’émission de téléréalité Loft Story/Big Brother de l’année 1999. Une poignée de gens inconnus sans compétences particulières y emménage pendant 100 jours. Ils sont observés 24h sur 24h par la population dans leurs activités quotidiennes : se brosser les dents, jouer aux cartes, dormir, se doucher, bavarder, manger, avoir des rapports sexuels. Tous leurs faits et gestes sont filmés en permanence par des caméras puis diffusés sur Internet. Leur unique lien avec le monde extérieur est une caméra vidéo au moyen de laquelle ils partagent une fois par jour leurs pensées et émotions personnelles avec le public. Mais cette émission ne propose pas seulement d’exposer son intimité : c’est aussi une compétition lors de laquelle les téléspectateur.rice.s éliminent un par un les candidats du conteneur. Leur quotidien se transforme en une performance à tous les niveaux.

Boris Nikitin, The Last Reality Show, Überwachungskamera, 2023 ​​​​​​​© Boris Nikitin, Foto: Boris Nikitin

Boris Nikitin, Erste Staffel. 20 Jahre Grosser Bruder, caméra de surveillance, stage design: David Hohmann, Staatstheater Nürnberg, 2020 © photo: Boris Nikitin

Lorsque Loft Story/Big Brother est présenté pour la première fois aux Pays-Bas en 1999 et plus tard – jusqu’à aujourd’hui – dans plus de 63 pays, l’émission fait immédiatement l’objet de débats. En associant vie quotidienne, introspection volontaire, authenticité mise en scène et compétition, le concept est une provocation. Certains évoquent une démocratisation du secteur du divertissement attendue depuis longtemps, pour d’autres l’émission constitue une transgression avec sa réinterprétation du personnage de l’omnipotent « grand frère » du roman de Georges Orwell 1984. Un avant-goût des débats des deux décennies suivantes.

Le véritable personnage principal de l’émission n’est pas un ou une candidat.e, mais l’espace dans lequel ils se rencontrent : le conteneur. Il est à la fois utopie démocratique, dystopie et art conceptuel : un appareil d’autosurveillance, un ready-made se réactualisant sans cesse, une machine de la réalité. Avec lui s’opère un changement de paradigme. Le quatrième mur entre les sphères privée et publique est définitivement brisé : désormais, nous deviendrions tou.te.s performeur.euse.s.

Pour le vingtième anniversaire de la première saison en Allemagne, Boris Nikitin, metteur en scène bâlois, a fait reproduire une réplique du conteneur d’origine. Celle-ci faisait partie intégrante de la mise en scène théâtrale Erste Staffel. 20 Jahre Grosser Bruder au Staatstheater Nürnberg. À partir du 6 décembre, cette réplique est visible au Musée Tinguely durant six semaines.
Boris Nikitin et son équipe l’ont modifié en vue de l’exposition : les dimensions varient légèrement, il manque une pièce, le conteneur n’est pas en métal, mais en bois laqué blanc. C’est l’imitation d’un bâtiment lui-même déjà simulacre qui sonna l’avènement de la visibilité numérique.

Nikitin küche

Boris Nikitin, Erste Staffel. 20 Jahre Grosser Bruder, cuisine et salle à manger, stage design: David Hohmann, Staatstheater Nürnberg, 2020 © photo: Boris Nikitin

Boris Nikitin est l’une des voix majeures du théâtre contemporain. Metteur en scène, auteur, il conçoit également des décors scéniques, des travaux vidéo, des festivals, des symposiums et des happenings.
Depuis de nombreuses années, l’étude du documentaire et de la propagande figure au cœur de sa pratique artistique. La question de la manipulabilité d’affirmations de la vérité est une caractéristique constante de tous ses travaux. Bien avant que le terme « fake news » ne devienne un mot ambigu, Nikitin a posé la question du réel. Des pièces comme F for Fake nach Orson Welles (2008), Imitation of Life (2009), How to win friends and influence people (2013), Sei nicht du selbst (2013) ou Martin Luther Propagandastück (2016) ne sont pas seulement saluées par la presse, mais tirent aussi un double-fond dans un théâtre performatif contemporain encore marqué par la quête de corps véritables, d’intrigues réelles et d’un désir d’authenticité. La question du vrai et de ses doubles est également au cœur des Happenings de Nikitin, comme le festival It's The Real Thing (2013 - 2019), la série de débats Propagandagespräche 1-8 (2018) ou la Schweizer Propagandakonferenz (2019). Dès 2009, le journal taz écrivait : « Nikitin réfléchit à nouveau à l’esthétique des profanes, des experts, des complices. Il n’y a guère de collectif de mise en scène qui questionne autant que Nikitin le statut de ce qu’il raconte et rapporte, en d’autres termes le statut du document. » En 2016, le Tagesanzeiger ajoutait : « Le metteur en scène bâlois conduit le genre du théâtre documentaire à ses limites. »

Nikitin Stuhl

Boris Nikitin, Erste Staffel. 20 Jahre Grosser Bruder, Confessions Room, stage design: David Hohmann, Staatstheater Nürnberg, 2020 © photo: Boris Nikitin

Avec The Last Reality Show, l’artiste bâlois continue sa réflexion sur ses thèmes de prédilection en créant de nouvelles associations. Il établit un lien entre la question de la production d’illusion et un autre thème auquel il s’est particulièrement consacré ces dernières années : la vulnérabilité qui apparaît lorsque des personnes s’exposent.
Le conteneur est une sorte de quintessence de ses travaux réalisés jusqu’à présent. Dans le même temps, c’est une capsule temporelle qui relie l’année 1999 à aujourd’hui. En deux décennies, le monde s’est transformé et le conteneur est devenu un objet muséal. Les caméras de surveillance sont surannées, les meubles démodés, les questions de la réalité omniprésentes. Sur un mur est accrochée une photographie des Twin Towers qui étaient alors encore debout, sur un autre une affiche United Colors of Benetton d’Oliviero Toscani. Dans la chambre, les lits sont vides, tandis que la salle de bain n’est plus qu’un fragment. Les habitant.e.s ont quitté le conteneur depuis longtemps. À présent, les visiteur.euse.s du musée entrent dans un lieu de mémoire.

Une production de It's The Real Thing Studios. Soutenu par les fonds du Comité Danse et théâtre BS/BL. Exposition en coproduction avec le Musée Tinguely.

Crédits :
Conception : Boris Nikitin
Mise en œuvre de l’exposition : Johannes Maas
Éclairage : Kerim El-Mokdad
Programmation : Nicolas Welti
Décor : David Hohmann
Responsable de la production : Annett Hardegen

Boris Nikitin vit à Bâle. En 2017, il a été récompensé pour l’ensemble de son œuvre par le prix J.M.R-Lenz-Preis de la ville d’Iéna. En 2020, il a reçu le prix suisse du théâtre.