Silent World – Saratoga, 2018

Archival pigment print on Hahnemühle Photo Rag Ultra Smooth paper

Silent World – Saratoga est une photographie couleur figurant la cuisine engloutie du porte-avions USS Saratoga de la marine américaine, qui repose désormais au fond du lagon de l’atoll de Bikini. Autrefois symbole de puissance militaire, le navire a été sabordé lors de l’opération Crossroads, cette série d’essais atomiques menés en 1946 pour étudier les effets des explosions nucléaires sur les navires de guerre. Depuis qu’elle a coulé dans les profondeurs, la carcasse du navire se transforme lentement ; sa coque en acier devient un nouveau substrat pour la vie marine, comme un récif artificiel où la nature reprend tranquillement possession des vestiges de l’ambition humaine. Cette image fait partie de First Light (2016), une série photographique créée pendant un mois et demi de travail sur place ; elle documente les longues plongées de Charrière dans les débris laissés par la marine américaine. La photographie présente une scène étrange et pourtant familière : des assiettes laissées dans la cuisine du navire, figées dans le temps comme si en attente d’un repas qui ne viendra jamais. Ce moment de domesticité est suspendu dans l’abîme, écho silencieux des vies autrefois menées à bord d’un navire désormais submergé dans l’histoire.

Au-delà de l’immédiateté de son silence, Silent World – Saratoga aborde les thèmes plus larges du changement environnemental et de la mémoire culturelle. L’épave, partiellement ensevelie par la montée des eaux, sert à la fois d’artefact et d’écosystème vivant. Elle oscille entre ruine et renouveau, histoire et biologie. La photographie remet en question la dichotomie romantique héritée entre nature et culture, présentant ainsi un univers qui ne distingue plus les deux. La scène se dissout au contraire dans un continuum où les traces humaines se fondent dans la vie marine, où les débris de la guerre deviennent site de régénération et où l’océan détient, dans ses profondeurs, les mémoires futures de l’anthropocène.