Vue d'installation, Astrologische Aspekte, 1977-2001, Musée Tinguely, Donation Christoph Aeppli

Eva Aeppli

6 juin – 1 novembre 2015

Eva Aeppli, Impasse Ronsin, Paris, 1957. Photo: Hansjörg Stoecklin
Le Musée Tinguely à Bâle rend hommage à Eva Aeppli (décédée le 4 mai 2015) en présentant une sélection d’oeuvres et de photos de l’artiste. Eva Aeppli a grandi à Bâle et réalisé, à partir des années 1950, un travail artistique d’une très grande intensité qui sonde les profondeurs de l’âme humaine. Ainsi ont vu le jour des dessins au fusain, des toiles grand format, des figurines en tissu et des têtes en bronze, ainsi que des sculptures, exécutées conjointement avec Jean Tinguely, avec qui elle partit pour Paris en 1952 et fut mariée jusqu’en 1961. Eva Aeppli vécut en France dès les années 1950 et ces derniers temps à Honfleur (en Normandie), où elle mourut juste après avoir fêté ses 90 ans. Du 6 juin au 1er novembre 2015, le Musée Tinguely montre deux tableaux grand format, un groupe de figurines en tissu, neuf têtes en bronze et plusieurs photographies de l’artiste.

Eva Aeppli est née le 2 mai 1925 à Zofingen (Suisse) et a grandi à Bâle, avec ses parents et ses trois frères et soeurs. D’abord élève à l’école Steiner de Bâle, que son père avait contribué à fonder, elle suit les cours de l’école des arts appliqués pendant la 2ème Guerre mondiale et crée ses premières figurines en tissu et marionnettes qu’elle vend dans divers magasins. Son véritable travail artistique – ses figurines n’étant pour elle qu’un gagne-pain – ne commence qu’à Paris.
Vue d'installation, photos de la vie de Eva Aeppli
Après un premier mariage avec l’architecte Hans Leu, dont naîtra en 1946 son fils Felix-Vital, elle est bientôt la compagne de Jean Tinguely. Ensemble, ils habitent le Burghof, une villa en démolition se trouvant à l’emplacement du future bâtiment annexe du Kunstmuseum de Bâle, actuellement en construction. Miriam, leur fille commune, naît en 1950 ; Aeppli et Tinguely se marient l’année suivante. En 1949 débute la longue amitié qui liera Eva Aeppli à Daniel Spoerri, lequel sera rejoint à Paris par Aeppli et Tinguely. Vivant d’abord dans de modestes hôtels, ils finissent par s’installer dans un atelier impasse Ronsin, une colonie d’artistes près de Montparnasse dont le doyen n’est autre que le sculpteur roumain Constantin Brâncuşi. Eva Aeppli commence alors sa carrière artistique avec des représentations textiles et des dessins au fusain, représentant généralement des individus décharnés et d’humeur sombre.

Aeppli rencontre Yves Klein, François-Xavier et Claude Lalanne, ainsi que des personnalités de l’univers artistique parisien alors en pleine vitalité : la galeriste Iris Clert, le critique Pierre Restany ou le jeune historien d’art suédois Pontus Hultén. Mais, dans l’ensemble, elle se tient à l’écart du monde de l’art, tandis que son mari s’y épanouit pleinement. En 1955, elle fait la connaissance de Niki de Saint Phalle et de son époux Harry Mathews ; les deux couples se lient d’amitié.

En 1960, Aeppli se sépare de Tinguely (désormais en ménage avec Niki de Saint Phalle) et épouse l’avocat américain Samuel Mercer avec lequel elle vit de temps à autre à Omaha dans le Nebraska.
Vue d'installation, Eva Aeppli, La Fête, 1962, collection privée (arrière gauche); Champs des Tulipes, 1961, collection privée (arrière droite); Astrologische Aspekte, 1977-2001, Museum Tinguely, Basel, Donation Christoph Aeppli
Dans les années qui suivront, Eva Aeppli réalise un deuxième ensemble d’oeuvres : des peintures grand format, des huiles sur toile représentant principalement des têtes en grand nombre – têtes de mort et crânes, d’un côté, visages stylisés de l’autre ; des parties de squelettes sont parfois visibles, parfois aussi des têtes ornées de fleurs. Ces toiles s’intitulent Le Fleuve, Minuit, La Fête ou Champ de tulipes ; elles évoquent des représentations morbides d’individus morts, des photographies de cadavres entassés, de guerre et de camps de concentration.

Au milieu des années 1960 voient le jour les premières sculptures textiles, des personnages grandeur nature aux visages saisissants avec de longues mains fines. La Table de 1967 (aujourd’hui au Moderna Museet à Stockholm) montre 13 personnages attablés, comme une réinterprétation de la Cène mais sans le Sauveur. Un autre groupe de 13 personnages également, plus réduit, plus sombre, s’intitule Hommage à Amnesty International (aujourd’hui au Centre Georges Pompidou, Musée National d'Art Moderne, à Paris) : des figures vêtues de noir arborent des visages figés dans une souffrance mutique. En outre, elle crée des personnages isolés, assis dans des fauteuils, qui sont comme les gardiens silencieux du monde. À partir de 1975, en association avec l’astrologue Jacques Berthon et l’artiste Éric Leraille, Eva Aeppli s’intéresse de plus en plus à l’astrologie et se met à créer différents groupes de personnages dont le premier, Die zehn Planeten (Les dix planètes), est montré en 1976 à la Biennale de Venise. Après la Biennale, l’artiste décide de couler les têtes des Planètes dans du bronze. Elle offre les mains des personnages à des amis, leurs corps sont détruits.
Vue d'installation, Eva Aeppli, Astrologische Aspekte, 1977-2001, Museum Tinguely, Basel, Donation Christoph Aeppli (à gauche); Champs des Tulipes, 1961, collection privée (au milieu); Die Fünf Witwen, 1969, Museum Tinguely, Basel, Donation Niki de Saint Phalle (à droite)
Par la suite, elle réalise d’autres groupes de têtes en tissu fin coulées dans du bronze : Astrologische Aspekte (Des aspects astrologiques), Die zwölf Sternzeichen (Les douze signes du zodiaque), Einige menschliche Schwächen (Quelques faiblesses humaines), parmi d’autres. Toutes ces têtes incarnent des émotions profondes. Bien que l’artiste ait préféré rester à l’écart, des spécialistes de l’art et commissaires d’exposition ont vite reconnu la force et la qualité intrinsèque de son oeuvre. D’importantes rétrospectives lui ont été ainsi consacrées, en 1993 au Moderna Museet de Stockholm, en 1994 par Pontus Hultén à la Bundeskunsthalle de Bonn, la même année encore par André Kamber au Kunstmuseum de Soleure.

Un dernier groupe d’oeuvres voit le jour en 1990 et 1991. Ce sont des sculptures qu’elle réalise conjointement avec Jean Tinguely, des personnages morbides comme dans Hommage à Käthe Kollwitz (Kunstmuseum, Soleure) ou Erika (collection particulière). Ces sculptures sont montrées à Bâle, à la Galerie Littmann, et font partie intégrante des rétrospectives qui suivront. Eva Aeppli a également travaillé avec d’autres artistes, comme Jean-Pierre Raynaud ou Daniel Spoerri.
En 2006, le Musée Tinguely exposant Les Livres de Vie, 15 tomes qu’Eva Aeppli a commencé à créer en 1954 et dans lesquels elle collait tout ce qui lui importait : cartons d’invitation à des expositions, photos d’amis, lettres, cartes, dessins, petites notes et documents de tout type, y compris des ébauches de testaments. Les Livres de Vie constituent le fil rouge qui traverse la vie de l’artiste qui connut du reste des changements permanents. Eva Aeppli avait offert les livres en 2002 au Kunstmuseum de Soleure. Toujours au Musée Tinguely, ce sont toutes les têtes en bronze de l’artiste qui furent exposées en 2008, suite à une donation de son frère Christoph au musée. La dernière grande exposition Eva Aeppli est due à son ami Daniel Spoerri qui l’organisa dans sa maison de Hadersdorf en Basse-Autriche. Là se refermait un cercle témoignant de l’amitié de toute une vie.
Porté par une amitié plus récente – mais non moins intime –, le catalogue raisonné (électronique) d’Eva Aeppli a été établi par l’historienne d’art Susanne Gyger en collaboration avec l’Institut suisse pour l’étude de l’art (SIK-ISEA) qui le publie en accès libre sur son site depuis 2012.